Les salaires des cadres dirigeant de PME ou PDG de groupe qui font souvent débat dans la presse ne laissent pas indifférents les directions des associations et établissements du secteur sanitaire et social à but non lucratif. Les niveaux de salaires des directions et cadres dirigeant sont en effet largement supérieurs dans les autres secteurs d’activités. A titre d’exemple, dans le secteur de la finance et assurance le salaire annuel dans les entreprises de 50 salariés et plus dépasse allègrement les 200 000 €, 180 000 € dans les Activités professionnelles, scientifiques et techniques ou encore 139 000 € dans le secteur de l’information et la communication (source INSEE 2015) sans parler des salaires exorbitants et injustifiables des PDG des groupes du CAC 40 (5,8 millions d’€ en moyenne en 2018 – Source le Parisien, 6 novembre 2019).
Or, pour le secteur du sanitaire et social à but non lucratif, comme tout salarié(e) de ce même secteur, les directions ont comme référentiel leur convention collective qui cependant, n’interdit pas des salaires supérieurs soit dans le cadre d’une disposition collective locale (accord d’entreprise, usage, décision unilatérale) ou, cas le plus fréquent, contractuelle issue d’une négociation entre les parties au contrat de travail.
Hors un directeur d’établissement du secteur de la CCN51 devrait bénéficier mensuellement et à l’embauche, d’un nombre de points conventionnels qui est indexé sur le chiffre d’affaire de la structure (Annexe A 1.3 de la CCN51) calculés selon une formule complexe aboutissant à une fourchette comprise entre 634 et 1420 points, soit un salaire annuel compris entre 33 832 et 76 168 €. En fin de carrière, en incluant une ancienneté maximum et le complément de technicité, le salaire brut annuel avoisinerait les 110 000 € pour un directeur général d’une structure réalisant 70 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel (établissement dont l’effectif est compris entre 600 et 800 salariés) et donc bien en-deçà des niveaux de salaire des secteurs d’activité évoqués ci-dessus.
Au gré des expertises financières et sociales du Cabinet Boisseau, (Membre du CREREP) dans le cadre des consultations du CSE sur la situation financière et comptable et/ou politique sociale, conditions de travail et d’emploi – articles L.2312-25 et L.2312-26 du Code du travail) sur le secteur, nous observons une tendance des salaires des directeurs généraux et cadres de direction vers des niveaux nettement au-dessus de seuils conventionnels. L’origine de ses niveaux de salaire sont difficilement identifiables mais ils sont très probablement le résultat soit d’une négociation avec le Conseil d’administration de la structure ou bien d’une décision autonome de la direction dont le bien-fondé peut être discutable. Nous avons même pu constater dans un hôpital de la région parisienne une direction qui s’attribuait l’équivalent de 30 000 € annuel sous forme d’astreinte de direction en complément du salaire conventionnel (soit près de 2000 € l’astreinte hebdomadaire en méconnaissance des règles conventionnelles et de la branche !).
Les arguments des directions lors des restitutions d’expertise devant les élus sont généralement peu convaincants, voire provocateurs: selon eux la faiblesse des niveaux de salaires, des difficultés de recrutement de directeurs sur le marché ou encore des écarts de salaires avec le public (ce qui reste à prouver) ou avec le secteur des cliniques privées (plus crédible). Ces arguments toutefois exposés devant les représentants du personnel choquent tellement ils dissonent face aux conditions de rémunération des salariés soumis à la modération salariale depuis le passage aux 35 heures (voir notre étude). Les revendications salariales dans le cadre des NAO (Négociations annuelles obligatoire d’entreprise) sont systématiquement repoussées par les directions pour insuffisance de financement ou bien « non-respect de la convention collective » alors que pour elles-mêmes, ces principes ne seraient plus applicables.
En tout état de cause, les CSE sont en droit de solliciter des informations sur les rémunérations des cadres dirigeants
En effet, deux outils sont disponibles, la base de données économiques et sociales et l’expertise. Tout d’abord, les articles R.2312-8 (entreprises de moins de trois cents salariés) et R.2312-9 (entreprises d’au moins trois cents salariés) listent les informations obligatoires à mettre à disposition des élus du CSE et délégués syndicaux dans le cadre de l’article L.2312-18 du Code du travail. La rubrique 4° “Rémunération des salariés et dirigeants”, sous rubrique « montant global des dix rémunérations les plus élevées » permet de donner une première tendance des niveaux de salaire des cadres dirigeants.
Ensuite l’expert mandaté par le CSE dans le cadre de la consultation portant sur la politique sociale, conditions de travail et emploi visée à l’article L.2312-26 du Code du travail pourra utilement détailler les éléments de rémunération par catégorie socio professionnelle et en conséquence celle des dirigeants. Si la première information est agrégée (1 seul chiffre, la rémunération annuelle), la deuxième pourra être détaillée par l’expert (salaires de base et primes)
Pour une transparence sur les rémunérations des directions
Bien évidemment, il ne peut être déduit de nos études la généralisation d’une tendance à la hausse des rémunérations des dirigeants sur le secteur de la CCN51. Mais il n’en demeure pas moins que cette « émancipation salariale » constatée sur les quelques établissements étudiés pose question et notamment sur un secteur extrêmement contraint sur le plan économique qui nécessiterait à tout le moins un affichage d’une certaine éthique confirmée par une volonté de transparence des dirigeants sur leur salaire à l’égard des représentants du personnel et des salariés.