Les restructurations dans le secteur sanitaire sont désormais monnaie courante. Fermeture de service, fusion d’établissements, externalisation d’unité non centrée sur le soin obligent les employeurs à mettre en œuvre soi le fameux article L.1224-1 du Code du travail, à savoir le transfert du contrat de travail et donc des salariés vers la structure cible ou un plan de sauvegarde de l’emploi. Sauf que certains employeurs peu délicats ne s’embarrassent pas avec ces obligations qu’ils estiment contraignantes.
C’est le cas du groupe SOS Santé, structure sous convention collective 51, regroupant plusieurs établissements sanitaires, qui décide en janvier 2012 de fermer le bloc opératoire de l’Hôpital d’Hayange pour raisons économiques. Or, plutôt que d’organiser le transfert de l’activité du bloc et ses salariés vers d’autres structures du groupe ou la céder au CHR public voisin de Metz-Thionville, il a organisé un certain chaos et de l’incertitude qui ont amené plusieurs salariés à démissionner dans la précipitation.
Ces salariés, constatant qu’ils auraient pu conserver leur emploi avec une meilleure information ou bénéficier d’un plan de sauvegarde de l’emploi ont saisi le Conseil des Prud’hommes qui leur a donné raison, décision confirmée de manière encore plus dure par la Cour d’appel de Metz (Cour d’appel de Metz, Chambre sociale, Section 2, Arrêt du 10 janvier 2017, Répertoire général nº 15/03542)
Tout d’abord, le dol
Le dol ou manœuvres dolosives en droit est constitué lorsque l’ensemble des agissements trompeurs ont entraîné le consentement qu’une des parties à un contrat n’aurait pas donné, si elle n’avait pas été l’objet de ces manœuvres. Si par exemple, en droit du travail la démission du salarié est consécutive à des manœuvres qui ont pour objet de nuire aux intérêts du salarié, alors la démission peut être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse donnant droit à ce dernier à des dommages et intérêts.
C’est le cas, dans cette présente affaire d’envergure. En effet, le juge du fond a constaté que le transfert des salariés non démissionnaires avait bien eu lieu vers le CHR mais plusieurs mois après la fermeture du bloc opératoire (août 2012). Que cependant, préalablement à la fermeture du bloc intervenue le 31 mars 2012, la direction dans une note du 1er mars 2012, faisait savoir que c’est au salarié qui souhaite rejoindre le CHR de prendre lui-même contact avec celui-ci sans faire état de façon claire d’un transfert de droit des contrats de travail en l’absence de choix d’une mutation interne des salariés. Démarche pour le moins inappropriée, puisque c’est bien sûr à l’employeur d’organiser le transfert des contrats de travail dans le cadre de l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail.
Les comptes rendus avec les représentant du personnel faisaient également état à cette période, d’un projet qui était, selon la direction, incertain ou éventuel. Dés lors, ces informations créaient de l’incertitude sur des possibles mutations imposées et éloignées du domicile des salariés. La Cour relevait sur cette période, le nombre imposant de 9 ruptures conventionnelles et 22 démissions. Le CHSCT fait également état d’un climat délétère qui entourait cette fermeture. La Direction approchait même des salariés afin de leur indiquer des possibles mutations loin de leur domicile ou bien de contacter le CHR alors que ces derniers auraient pu bénéficier quelques mois plus tard, du transfert automatique de leur contrat de travail aux mêmes conditions. L’employeur mutait également d’autorité et contre son gré une salariée l’obligeant à prendre acte de la rupture de son contrat de travail laquelle sera qualifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse par le Conseil des Prud’hommes de Thionville.
Un joli chaos donc, au sein duquel, au moment de la démission, les salariés on été volontairement laissés dans une totale incertitude devant la fermeture brutale du bloc. Le juge relève la déloyauté du groupe, la délivrance d’informations inexactes qui ont trompé les salariés et qui caractérisent bien des manœuvres dolosives et une réticence dolosive
Dés lors la démission des salariés présentait un caractère équivoque, les circonstances de leur démission étant de nature à établir qu’ils ont démissionné sous le dol et la contrainte morale de leur employeur. En conséquence, cette démission doit être analysée en un licenciement irrégulier intervenu aux torts de l’association GROUPE SOS SANTE.
La fraude au plan de sauvegarde de l’emploi
Outre les manœuvres dolosives, la Cour fait également le constat que le groupe se dispensait de manière illégale de l’obligation de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi visé à l’article l’article L.1233-61 du Code du travail. En effet, dans les entreprises de 50 salariés et plus, lorsque un projet de suppression de poste pouvant aboutir à des licenciements concerne dix salariés ou plus dans une même période de trente jours, l’employeur doit établir et mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. Il prévoit également des mesures telles que des actions en vue du reclassement interne des salariés, des créations d’activités nouvelles par l’entreprise, des actions favorisant le reclassement externe à l’entreprise, des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion, des mesures de réduction ou d’aménagement du temps de travail, etc
Or, aux termes des articles L.1233-61 et suivants du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, à défaut d’un tel PSE, les licenciements intervenus en violation de ces dispositions sont nuls sur le fondement de l’article L.1235-10 du même code.
Outre les démissions requalifiées en licenciement, le juge constatait que la direction affichait, compte tenu des graves difficultés économiques, une volonté de réduire la masse salariale de l’hôpital d’Hayange tout en annonçant son souhait d’éviter des licenciements et un plan social. Il relève également sur les procès verbaux de CE une baisse des effectifs de 36 salariés en deux mois sur le groupe et 20 salariés sur le site d’Hayange. Fin mars 2012, les chiffres augmentent à hauteur de 86 mutations, 9 ruptures conventionnelles et 23 démissions. D’ailleurs la direction affichait sans retenue qu’il fallait limiter le nombre de ruptures conventionnelles à 9 pour ne pas être soumis à l’obligation de mettre en place un PSE.
Mais le juge fait ses comptes : 9 ruptures conventionnelles auxquelles il ajoute les démissions requalifiées en licenciement sans cause réelle et sérieuse mais dont les causes sont de nature économique : le chiffre de 10 suppressions de poste est largement dépassé.
Dés lors l’association GROUPE SOS SANTE, était “tenue de respecter les dispositions d’ordre public des articles L.1233-61 et suivants du code du travail“, et « force est donc de constater au vu du nombre de ruptures des contrats de travail en l’absence totale de PSE, un détournement du droit du licenciement économique et de la procédure du licenciement collectif ».
Conséquences, licenciements annulés
En conséquence, fort logiquement le juge déplace le régime juridique de la rupture du contrat de travail de l’absence de cause réelle et sérieuse vers sa nullité ce qui donne droit aux salariés à des dommages et intérêts à hauteur de 12 mois de salaire brut. A noter également que dans le cas de la nullité du licenciement, les salariés auraient pu demander de manière alternative au régime indemnitaire, leur réintégration dans le groupe. En tout les cas un joli cas d’espèce sur la fraude au licenciement économique !