Le comité social et économique, une réduction des droits de la représentation du personnel ?

Si la presse et les syndicats de salariés traitent ou épinglent principalement les dispositifs des ordonnances loi travail relatives aux indemnités prud’homales ou bien l’inversion de la hiérarchie des normes, le débat sur la refonte des instances représentatives du personnel est moins sur le devant de la scène, probablement pour des raisons tenant à leur relative complexité. Pourtant, avec la création du comité social et économique (CSE) accompagnée de modifications substantielles de fond et de forme, la défense des intérêts collectifs et individuels des salariés se voit singulièrement réaménagée. Nous proposons ci-dessous un premier balayage des principales dispositions accompagné le cas échéant de notre analyse. En effet, si le gouvernement argumente à propos de ses ordonnances, d’un renouveau ou d’un décloisonnement du dialogue social, il y a lieu de se projeter dans leur mise en œuvre et d’entrevoir leurs réelles conséquences.

 

Seuil et périmètre de mise en place

Sur la forme, petite évolution, puisque le CSE est obligatoire pour un effectif supérieur d’au moins 11 salariés, seule la fonction ” délégués du personnel ”  était obligatoire dans les entreprises dont l’effectif est compris entre 11 et 49 salariés. Cependant le CSE pour les entreprises de moins de 50 salariés, n’auront pas les moyens des autres CSE en terme de budget.

Le CSE est mis en place au niveau de l’entreprise. Des comités sociaux et économiques d’établissement et un comité social et économique central (CSEC) d’entreprise sont constitués dans les entreprises comportant au moins deux établissements distincts.

Attributions

Le décloisonnement évoqué ci-dessus consiste donc en une fusion des instances au sein du CSE qui récupère les attributions du CE, DP et CHSCT. Le CSE est doté de la personnalité civile et gère son patrimoine. Le CSE est donc consulté et émet des avis dans l’exercice de ses attributions fusionnées (orientation stratégique, situation économique, politique sociale, organisation de travail, etc…)

Nouvelle disposition, le CSE ou CSEC peut se substituer au délégué syndical en cas d’absence de celui-ci dans l’entreprise pour la conclusion d’un accord d’entreprise qui sera réputé valable lorsqu’il sera adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité.

La procédure d’information consultation ne subit pas de modification. Un décret en Conseil d’État fixera les délais dans lesquels les avis du CSE ou du CSEC sont rendus dans le cadre de ces consultations (précédemment de 1 à 3 mois selon conditions). Ces délais permettent au comité d’exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l’importance des questions qui lui sont soumises. A l’expiration de ces délais, le comité est réputé avoir été consulté et avoir rendu un avis négatif.

Notre avis

Le décloisonnement voulu par le gouvernement, à notre sens, est tout à fait relatif, car dans les faits et selon nos observations, les élus cumulent souvent 2 voire 3 mandats sans compter celui de délégué syndical. Dés lors, ils bénéficient d’un nombre d’heures de délégation tout à fait acceptable pour gérer leurs différentes missions. La représentation du personnel organisée par thématiques (défense des intérêts collectifs au CE, exécution du contrat de travail au DP, condition de travail au CHSCT) avait le mérite de structurer les missions et le travail afférent. Or, Nous pressentons beaucoup de confusion dans un cadre réduit en termes de nombre de réunions annuelles (seulement 12 contre 27 dans les établissement de 300 salariés et plus) et d’heures de délégation réduites consacrées à l’intégralité des missions. Au final,  nous constatons, au-delà de cet effet de manche du renouveau et du décloisonnement, une véritable rationalisation du dialogue social.  Des sujets d’importance risquent d’être étudiés puis traités de manière superficielle par des élus, non pas spécialisés, mais désormais généralistes accaparés qu’ils sont également par la gestion des œuvres sociales.

Composition du CSE

Le CSE comprend l’employeur et une délégation du personnel dont le nombre de titulaires et de suppléants sera déterminé par décret en Conseil d’État compte tenu de l’effectif de l’entreprise. Il pourra être augmenté par accord. Le CSE est présidé par l’employeur, assisté éventuellement de trois collaborateurs (au lieu de deux aujourd’hui) qui ont voix consultative. Les suppléants n’assistent plus aux réunions du CSE sauf en l’absence de son titulaire.

Les représentants syndicaux au CSE peuvent être nommés pour chaque syndicat représentatif dans l’entreprise.

Notre avis

L’absence des suppléants aux réunions du CSE témoigne également de cette rationalisation du temps de représentation du personnel. Un suppléant c’est également un soutien aux titulaires, un témoin supplémentaire de la vie de l’établissement en réunion qui alimente les débats.

 

Les réunions du CSE

Le CSE sera réuni au moins une fois par mois dans les entreprises d’au moins 300 salariés et au moins une fois tous les deux mois en deçà. Il pourra tenir une seconde réunion à la demande de la majorité de ses membres, sachant qu’au moins 4 de ces réunions porteront en tout ou partie sur les attributions du comité en matière de santé, sécurité et conditions de travail, plus fréquemment en cas de besoin, notamment dans les branches d’activité présentant des risques particuliers.

 

Commissions

Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, un accord majoritaire peut prévoir la création de commissions supplémentaires pour l’examen de problèmes particuliers. À défaut d’accord, c’est le régime supplétif qui s’applique. Le comité devra ainsi créer :

Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, une :

  • commission santé, sécurité et conditions de travail ;
  • commission formation ;
  • commission d’information et d’aide au logement ;
  • commission égalité professionnelle.

Dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés, une :

  • commission économique : chargée d’étudier les documents économiques et financiers recueillis par le comité et les questions qu’il lui soumet. Elle se réunit au moins deux fois/an.
  • Une commission des marchés devra également être créée au sein des CSE dépassant des seuils restant à fixer par décret.

Les membres de ces commissions seront désignés parmi les membres du CSE.

Notre avis

Si le CSE veut se donner les moyens d’une production efficace dans le cadre de ses misions, il nous semble incontournable que les conditions de fonctionnement de ses commissions soient déterminés par accord d’entreprise (heures de délégation dédiées aux fonctionnements des commissions, nombre de réunions préalables avec les services techniques pour préparer les débats et les délibérations du CSE etc..)   

 

Modification du montant des contributions et fongibilité des budgets

La contribution versée chaque année par l’employeur pour financer des institutions sociales du CSE sera fixée par accord d’entreprise. À défaut, les dispositions antérieures s’appliquent.

Nouveauté, la masse salariale brute retenue pour fixer la répartition de la contribution entre les comités d’établissements sera constituée par l’ensemble des gains et rémunérations soumis à cotisations de sécurité sociale.

Autre nouveauté, en cas de reliquat budgétaire, les membres de la délégation du personnel pourront décider, par une délibération, de transférer tout ou partie du montant de l’excédent annuel du budget destiné aux ASC au budget de fonctionnement, et inversement du budget de fonctionnement vers le budget ASC. Clairement, les deux budgets deviennent donc fongibles alors que jusqu’à présent, leur séparation devait rester hermétique.

Notre avis

En ce qui concerne le montant des contributions, c’est un recul par rapport à la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait étendu l’assiette de calcul des contributions au compte comptable 641 incluant notamment les indemnités de licenciement ou de départ à la retraite qui, elles, ne sont pas soumises à cotisations sociales (voir notre article sur ce sujet).

D ‘autre part, la fongibilité des budgets est selon nous une disposition qui risque de voir le budget de fonctionnement sollicité par le financement des œuvres sociales réputé plus “tendu”. Dés lors le CSE affaiblira sa capacité à défendre les intérêts collectifs de l’établissement en se privant de formation, de recours à l’expert ou de recours juridique en cas de délit d’entrave à la procédure d’information consultation.

 

La durée des mandats

Les membres sont élus pour quatre ans. Un accord de branche, de groupe ou d’entreprise pourra fixer une durée de mandat comprise entre deux et quatre ans. Pour les entreprise d’au moins 50 salariés, les membres élus ne pourront pas exercer plus de trois mandats maximum, à moins que le protocole d’accord préélectoral n’en dispose autrement.

Notre avis

Devant la difficulté de renouvellement des élus, cette restriction apparaît pour le moins inopportune. Pour tarir les effectifs de la représentation du personnel, on ne s’y perdrait pas autrement. Bien évidement, le protocole électoral est une protection devant cette mesure pour le moins restrictive. Cependant, l’employeur n’est pas tenu de le signer. L’autorité administrative sera alors compétente pour trancher.

 

Heures de délégation

Le nombre d’heures de délégation sera fixé par un décret en Conseil d’Etat en fonction des effectifs et du nombre de membres constituant la délégation. Ce temps ne pourra être inférieur à 10 heures/mois dans les entreprises de moins de 50 salariés et à 16 heures/mois dans les autres entreprises.

Notre avis

Les décrets d’application sont certes attendus, mais on imagine mal qu’ils accordent bien au-delà du seuil des 16 heures par mois. A titre d’exemple, la fusion CE DP CHSCT en délégation unique du personnel (DUP) pour les entreprises de moins de 300 salariés (loi Rebsamen) a augmenté le nombre d’élus mais pas celui des heures de délégation.

Restriction sur la formation des élus

Le stage de formation économique sera dispensé aux nouveaux membres du CSE mais ne sera pas renouvelable en cas de réélection contrairement aux dispositions précédentes.

 

La participation du CSE au financement des expertises s’élargit

Le CSE peut décider de recourir à une expertise selon les dispositions légales mais incluant sa participation financière sur plusieurs thématiques. Ainsi, la prise en charge  des expertises par les employeurs est à 100% pour :

  • la consultation sur la situation économique et financière,
  • sur la politique sociale et l’emploi,
  • sur un projet de licenciement collectif (licenciement de dix salariés ou plus)
  • pour risque grave, identifié et actuel ;

le comité participe désormais au financement de l’expertise, sur son budget de fonctionnement, à hauteur de 20 % pour :

  • la consultation sur les orientations stratégiques,
  • sur un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail,
  • le droit d’alerte économique,
  • les opérations de concentration (fusion d’associations),
  • l’accompagnement des organisations syndicales à la négociation d’un accord de préservation et développement de l’emploi.

Notre avis

Manifestement c’est une limitation de la possibilité des CSE de se faire épauler par l’expert en agissant sur ses moyens financier particulièrement pour les établissements de petite taille qui bénéficient d’un budget de fonctionnement  faible (2000 à 10 000 €).

Si on ajoute à cela la possibilité de basculer une partie du budget de fonctionnement sur celui des œuvres sociales (précité plus haut), les CSE tentés par cette modification budgétaire grèveront leur possibilité d’agir pour la protection de l’intérêt collectif.

 

Période transitoire

La fusion des instances doit intervenir au plus tard le 31 décembre 2019. Il y aura donc, dans nombre de cas, une obligation d’anticiper les élections pour les mandats en cours dont l’extinction est prévue après cette date (échéance en 2020 ou 2021). D’ici cette date du 31 janvier 2019, toute les prérogatives et compétences demeurent en l’état pour chacune des instances représentatives du personnel “ancien modèle”.

 

Notre conclusion

Diminution des heures de délégation enfermées dans une triple mission (sans compter celle de gestion des œuvres sociales), réduction substantielle du nombre de réunions, éviction des suppléants des réunions, participation élargie aux frais d’expertise, limitation du renouvellement du mandat, réduction de l’assiette de calcul des budgets, fongibilité des budgets : “l’addition est salée”. Le renouveau et le décloisonnement du dialogue social annoncé par le gouvernement se traduit par une rationalisation du débat dans l’établissement, une diminution des moyens, un affaiblissement de la capacité à agir des élus non seulement sur le plan financier mais également en les enfermant dans des missions multiples avec des moyens en temps réduits. Alors clairement, ces ordonnances sont une réduction des droits de la représentation du personnel tant sur le fond que sur la forme. Dés lors, ils s’agira pour les élus et les organisations syndicales de reconquérir du droit et de la capacité à défendre les intérêts des salariés par la conclusion d’accords d’entreprise plus favorables que le droit commun. N’est-ce pas également un objectif de cette réforme ? Plus de créativité au plus près du terrain.