Harcèlement moral, un cas d’école lourd de conséquences

Nous avons relevé avec intérêt cet arrêt récent de la Cour d’appel de Paris (C.A. Paris, Pôle 6, Chambre 6, Arrêt du 17 mai 2017, RG nº 14/12431) qui a lourdement sanctionné l’Hôpital Saint Joseph à Paris, établissement relevant de la convention collective 51, pour des faits de harcèlement moral à l’encontre d’un médecin. En effet, cet arrêt donne un exemple classique du mode de preuve nécessaire pour établir les faits constitutifs du harcèlement et des conséquences juridiques qui s’en suivent quand le salarié demande sa réintégration dans l’établissement.

Les faits qui ont constitué le harcèlement moral

Un médecin salarié de l’hôpital Saint Joseph est licencié le 2 avril 2013. Il saisi le Conseil des prud’hommes de Paris pour contester son licenciement lequel le déboute de toutes ses demandes. Le salarié fait appel de la décision et saisit la Cour d’appel de Paris et fait valoir à titre principal que son licenciement est nul car il estime avoir subi des faits de harcèlement moral.  Il demande au juge  d’ordonner sa réintégration avec reprise d’ancienneté et reconstitution des cotisations à droits à retraite FEHAP ou subsidiairement, de juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Pour mémoire, l’article L.1152-1 du code du travail dispose qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Un régime de la preuve partagé entre le salarié et l’employeur et que le premier va solidement constituer.

Ainsi, le salarié avançait que son supérieur hiérarchique, voulant son départ, lui a adressé des reproches infondés, l’a dénigré et l’a menacé, et ce à plusieurs reprises aux cours des mois qui ont précédé le licenciement. Pour prouver ses dires, il verse à son dossier de multiples témoignages de salariés également médecins qui constitueront un premier faisceau d’indices. Le chef de service d’anesthésie dit que lors de la commission d’organisation des ressources médicales du 13 décembre 2012, la supérieure hiérarchique a demandé un recrutement futur d’un chirurgien en remplacement du salarié dont elle prévoyait le départ. Un chef de service dit qu’à plusieurs reprise, il a entendu le chef du demandeur vouloir le licenciement d’un de ses médecins, et que l’ensemble des participants à la réunion avait compris qu’il s’agissait du salarié en question, même si son nom n’avait pas été cité. Un médecin anesthésiste-réanimateur en orthopédie, salariée de l’Hôpital Saint-Joseph, mentionne que le salarié subit depuis un an environ un dénigrement et des critiques publiques répétées, dans le couloir ou la salle d’opération de la part de son chef de service

Des courriels du supérieur hiérarchique à l’attention du salarié témoigne d’une violence non dissimulée avec « je réitère ma volonté absolue qu’on trouve le moyen qu’il quitte l’établissement » ou encore « le dossier n’est ni fait ni à faire, l’observation est un torchon écrit à la main »

La chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins d’Île-de-France sera d’ailleurs saisie et par décision du 28 janvier 2014 prononcera une sanction disciplinaire à l’égard de ce chef de service.

Le médecin coordinateur du service de santé au travail à l’hôpital Saint-Joseph sera également saisit et il témoigne qu’il a été amenée à recevoir, entre février et avril 2013, en visite à la demande du salarié, ou dans le cadre de visites systématiques, de nombreux confrères médecins et personnels de bloc opératoire, l’alertant d’une situation, devenue à leurs yeux inacceptable, de « harcèlement professionnel » de la part du chef de service.

Pour sa part la direction de l’hôpital Saint Joseph a fait seulement valoir devant le juge que le supérieur hiérarchique n’a fait que rappeler au salarié ses obligations contractuelles et déontologiques et que ces rappels à l’ordre n’étaient qu’une exigence pour la qualité des soins et le bien-être des patients.

Bien piètre défense face au flot de faits et de témoignages constitutifs d’un harcèlement moral que le juge n’a pu que constater. Les salariés victimes de ce fléau sont souvent démunis dans la démonstration de la preuve car bien souvent ils se réfugient dans des stratégies de repli sur soi, oubliant ou ne sachant pas qu’un harcèlement doit se démontrer.

Mais dans cette affaire, le dossier du salarié a été soutenu par des salariés témoins des faits, une décision de la chambre disciplinaire du Conseil de l’ordre, la médecine du travail… et l’indigence des arguments de l’employeur.

Les conséquences (lourdes !) du licenciement intervenu dans un contexte de harcèlement moral

L’article L1152-3 dispose que « toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du Code du travail, (citée ci-dessus) toute disposition ou tout acte contraire est nul“.

Or, lorsque le licenciement, rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, est nul, le salarié peut demander au juge sa réintégration dans l’entreprise. Le contrat de travail est réputé ne jamais avoir été rompu et, dés lors, le juge condamne l’employeur au paiement des salaires courant de la date de rupture du contrat de travail jusqu’à celle de la décision du juge, soit, en ce qui concerne cette affaire, la bagatelle de 333 840,00 € ! A cela s’ajoute bien évidemment les cotisations retraites FEHAP du jour du licenciement au jour de la réintégration effective du salarié dans l’hôpital.

De plus, le juge sanctionne la carence de l’employeur qui n’a pas pris toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral. En effet, l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, notamment de harcèlement moral ; l’absence de faute de sa part ou le comportement fautif d’un autre salarié de l’entreprise ne peuvent l’exonérer de sa responsabilité à ce titre et il lui appartient de justifier qu’il a pris tous les moyens nécessaires pour prévenir ou faire cesser les faits de harcèlement ce qui, en l’espèce,n’a pas été fait.

A cela s’ajoute le préjudice distinct qu’a subi le salarié au titre du harcèlement soit 20 000 € (10 000 € pour chaque préjudice).